Il n’y a peu, Mark Rawcliffe faisait encore des allers-retours hebdomadaires à Londres. Les clients de cet architecte, devenu consultant spécialisé, de richissimes investisseurs immobiliers égyptiens ou bien américains. Mais que ce Britannique du Nord ait choisi de poser définitivement son sac à Dilay, un hameau du village d’Ardin, relève, sans mauvais jeu de mot, du pain béni pour ses habitants. Car Mark Rawcliffe, 57 ans, a trouvé la meilleure recette de l’intégration : il est devenu boulanger. À ceux qui verraient dans cette reconversion tardive une excentricité très british, la réponse est donnée par une clientèle locale de fidèles dont les papilles ont été séduites très tôt par son parti pris : des pains confectionnés avec 100 % de levain naturel. « Du pain de campagne comme autrefois dans les villages », se flatte Marc Rawcliffe avec son subtil accent.
« Et je suis parti pour un voyage qui a changé ma vie »
Formé à Liverpool et Birmingham, l’architecte londonien (son cabinet comptait jusqu’à seize collaborateurs) avait fortuitement acquis en 2001 une maison de vacances à Ardin. Dix ans plus tard, il déménage carrément son bureau dans les Deux-Sèvres, à un coup d’ailes d’avion de ses affaires depuis Poitiers. Mais la perspective du Brexit a fait vertigineusement dégringoler les investissements immobiliers des étrangers dans la capitale britannique. Le rebond professionnel était tout tracé.
Allez savoir pourquoi, Mark Rawcliffe a toujours été attiré par le mystère du pain : « En Angleterre, j’avais même acheté une machine à pain à 1 € sur eBay, raconte-t-il. Et je suis parti pour un voyage qui a changé ma vie ». Remarié dans l’intervalle à une aide-soignante deux-sévrienne, le désormais ex-architecte s’est retrouvé plongé du jour au lendemain dans le pétrin, au propre, en tant que boulanger-paysan dans une ferme biologique, près de Surgères : « Un vrai miracle », dit-il encore. En réponse à une petite annonce : son CV d’architecte, sa passion « quasi obsessionnelle », dit-il, et des photos de ses propres pains qui ont spontanément emballé le recruteur. Tout en faisant découvrir sa production domestique lors de pique-niques de voisins, Mark Rawcliffe a progressivement acquis une connaissance approfondie de l’histoire du pain et de la panification locale. Un virage professionnel géré avec la minutie et de créativité d’un architecte à l’ancienne, crayon à papier à la main : « Pas un pain “ à la française ”, insiste-t-il, mais un pain dans la tradition, bon pour la santé ».
Il fera pousser du blé ancien
Trois ans d’expérience au salaire minimum et des tonnes de pain cuit au feu à bois dans la ferme biologique de Charente-Maritime, parallèlement le « Pain de Dilay » produit et commercialisé dans le cadre d’une micro-entreprise obtenait plus qu’un succès d’estime. Dès lors, Mark Rawcliffe a franchi le pas en s’installant à son propre compte. Désormais, il propose une large variété de pains, les mardis et samedis sous les halles de Coulonges-sur-l’Autize ainsi qu’à son fournil. Avec le souci de privilégier les circuits courts, farines et céréales bio. Bientôt du blé ancien « rouge de Bordeaux », d’excellente qualité boulangère, sera planté sur la commune. À quelques jours du Brexit, le nouveau boulanger d’Ardin achève ses formalités de titre de séjour et a engagé une démarche de naturalisation. www.paindedilay.fr