Aventurier dans son jardin de la vallée de Chevreuse, Jean-Michel Caillaud est un naturaliste avisé.
Dans « Les lettres de mon jardin » (La Salamandre), vous racontez les mille péripéties qui surviennent sur un arpent de terre. L’aventure est à notre porte à condition de savoir la provoquer ?
Jean-Michel Caillaud : « Je vois ce jardin comme un théâtre où j’essaie de créer des scènes pour les acteurs du règne animal que je souhaite voir venir. Je suis un scénographe qui imagine des décors sans savoir quels personnages viendront, ni quelles histoires ils joueront. Dans un jardin, de la tragédie à la comédie romantique, tout peut arriver. Enfin, comme au théâtre, il y a l’unité de lieu. En nocturne, se jouent des scènes que je découvre grâce à des pièges photographiques. »
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Amplifié par la pandémie, le plaisir de jardiner concerne sept Français sur dix. De quelle façon un jardin rassure ?
« Il rassure car c’est un univers clos qui nous est familier, un lieu que l’on contribue à façonner. L’Anglais Gilbert White, naturaliste anglican du XVIIIe siècle, disait qu’il fallait demeurer trente ans au même endroit pour prétendre le connaître. Pénétrer l’intimité d’un site prend du temps. Je me souviens de vacances à Cavalaire avec mes parents durant lesquelles je pratiquais la macrophotographie. Il m’a fallu plusieurs années avant d’élargir mon champ de vision et découvrir les geckos [petit reptile du groupe des lézards, NDLR] vivaient là. Embrasser la diversité exige de changer de focale pour voir les arrière-plans, discerner le petit derrière le grand ou l’inverse. »
La fréquentation d’un jardin rend philosophe ?
« Il aide à prendre conscience de la diversité de la vie. C’est encore plus vrai en ces périodes de confinements. On prend davantage le temps d’écouter, d’observer, on plante, on sème et on attend de voir quelles pièces vont se jouer. Je suis souvent surpris par des histoires différentes de celles espérées. J’ai installé un nichoir à hulotte de 9 kg dans un arbre. La hulotte l’a snobé, en revanche c’est une élégante sittelle qui s’y est installée après avoir colmaté l’entrée avec beaucoup d’application, puisqu’elle n’a besoin que d’une petite ouverture. Un jardin, quand on y regarde bien, c’est l’anarchie totale ! »
Vous êtes très attentif à la biodiversité. Comment préserve-t-on les équilibres ?
« Au début, j’ai fait la guerre aux limaces qui ravageaient tout. Maintenant, je les laisse. La taupe creuse ses trous, les mulots font des bêtises, mais tous participent à l’équilibre. Si l’on veut des papillons, il faut des chenilles. Alors, tant pis pour les choux. J’ai découvert l’existence d’une petite mouche qui ressemble à un masque africain, d’une coccinelle particulière et d’une petite abeille sauvage qui toutes trois vivent uniquement dans les lianes de la bryone, plante grimpante aux baies toxiques. Si je l’arrache, trois espèces disparaissent du jardin. On ne peut pas aimer la nature et se transformer en tueur en série. »
À quoi ressemble votre jardin idéal ?
« Il mélange les genres : des parties ordonnées et d’autres indisciplinées, avec les orties, les herbes folles et les plantes que je laisse sans les arracher, comme les géraniums sauvages par exemple. Soucieux de la gestion de l’eau, j’ai aussi une parcelle de jardin méditerranéen avec de la rocaille. Ailleurs, des vivaces dont les fleurs mellifères attirent les butineurs. »
Un jardin reste aussi un lieu fragile. Délaissé, il se métamorphose.
« Je serais curieux de voir ce qu’il adviendrait de cet endroit. Avec un chêne qui produit chaque automne 300 kg de glands que je ramasse et les rejets multiples du tremble que j’arrache, le jardin livré à lui-même donnerait rapidement naissance à une forêt ! Pour éviter que le plaisir devienne contrainte, je m’inspire de la philosophie du « Petit traité du jardin punk », d’Éric Lenoir, où l’on apprend à investir les lieux avec un minimum d’efforts. Cette approche me plaît bien car jardiner peut devenir très chronophage. D’où la nécessité du tableau Excel pour planifier le calendrier des tâches selon les périodes de l’année. »
C’est un livre pour transmettre et apprendre à s’émerveiller sans aller au bout du monde ?
« Écrire m’a obligé à davantage de précision, car je ne suis ni ornithologue, ni entomologiste, ni botaniste. Mais je vois bien que les gens s’intéressent de plus en plus à ce qui les entoure. J’avoue une tendresse particulière pour Robert le Diable, un papillon au nom énigmatique observé pour la première fois dans mon jardin. »