Après une première vague de gel autour du 8 avril, les vignerons affrontent de nouveaux pics de froid à -1 °C cette semaine. Il est encore trop tôt pour chiffrer les dégâts.
Ce mardi 13 avril, dès 7 h 30, Carole Kohler remontait ses rangées de vignes à Thouars, l’air inquiet. "Je n’aime pas recenser les dégâts après un épisode de gel, comme cette nuit", commente-t-elle. Sur chaque pied, la moitié des bourgeons semblent abîmés.
La semaine précédente, les températures sont tombées à -3 °C. "Mais tout n’a pas gelé, car le sol n’était pas humide, détaille Carole Kohler. Le problème est qu’il a plu samedi et dimanche." Donc même si la température ne descend qu’à -1 °C, il y a des gelées sévères. "Ce n’est pas toujours le gel qui tue la plante, mais le matin, lorsque les rayons du soleil frappent, ils brûlent le bourgeon", explique la viticultrice.
Le gel a un impact sur les récoltes, mais aussi sur le développement. "J’ai beaucoup de plantis (jeunes vignes de moins de trois ans, sans production, ndlr), or si les bourgeons sont gelés, il faut parfois couper le rameau jusqu’au pied, repoussant d’un an la production". Dans le pire des cas, le pied meurt, et il faut en planter un nouveau. "En 2016, j’ai perdu 10 % de mes pieds à cause du gel. Au début, c’est une douleur très physique, de subir une catastrophe climatique. On est impuissants", témoigne la jeune viticultrice.
Les moyens pour lutter contre le gel
La viticultrice a pris plusieurs mesures. "J’ai arrêté la taille des jeunes plants, pour retarder la sortie des bourgeons", explique Carole Kohler. Une autre précaution est de placer des fils chauffants sur le palissage, pour réchauffer les vignes.
Une autre solution envisagée par Carole Kohler était de disposer des bottes de paille en bout de rang. "Au matin, on les enflamme pour créer une brume, afin que les rayons du soleil ne brûlent pas les bourgeons gelées, précise-t-elle. Mais aujourd’hui il n’y avait pas assez de vent pour pousser la fumée au-dessus des vignes."
Pour l’instant, elle n’envisage pas de poser des bougies – 200 à 500 par hectare – pour gagner quelques degrés. "Je n’ai pas le budget pour le moment, il faut les allumer au bon moment, lorsque les températures sont les plus basses dans la nuit, et le résultat n’est pas garanti", énumère-t-elle. Les éoliennes ou les hélicoptères, qui permettent de brasser l’air chaud vers le bas, sont encore plus coûteux.
Des épisodes de gels plus fréquents
Depuis que Carole Kohler s’est installée en 2016, elle a subi des dégâts de gel tous les ans. Selon elle, la profession prend conscience que le gel devient un problème très récurrent. "Même au Puy-Notre-Dame, où il ne gèle jamais, il y a du givre, s’inquiète-t-elle. Ceux qui ont les moyens vont investir, par exemple dans les éoliennes. Je ne sais pas encore comment je vais protéger mes vignes dans les prochains mois et années."
L’assurance n’est pas la solution. "Ça ne rembourse qu’une partie de la main-d’œuvre." Elle en a tout de même souscrit une, après la gelée de 2019. "Mais s’il faut tout reformer, sur une parcelle qui était bien partie, c’est très dur. En 2019, ça m’a traumatisée de tout perdre. Je me suis dit" "s’il regèle, j’arrête"."Heureusement 2020 a été une très bonne année." Il lui reste d’ailleurs du stock de l’an dernier, qui pourra aider si la récolte se révèle très faible en 2021.
"On va encore stresser jusque mi-mai. À partir de mercredi, les températures devraient remonter. Il faut soigner nos vignes et attendre", annonce Carole Kohler, qui invite à refaire un point dans un mois. "Actuellement, on est encore sous le choc, comme lors d’un accident de voiture."
Deux-Sèvres. Gelées d’avril : « Ce choc thermique est le pire des scénarios pour les agriculteurs »
Pour le président de la Chambre d’agriculture des Deux-Sèvres, il est encore trop tôt pour faire un bilan des dégâts causés par la chute des températures observée ces derniers jours.
L’heure n’est pas au bilan. "Nous sommes en train de faire les comptes seulement, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions", convient Jean-Marc Renaudeau. Mais le président de la Chambre d’agriculture des Deux-Sèvres le sait déjà.
Après les records de chaleur battus en mars, les gelées de ce mois d’avril sont "le pire des scénarios" pour la filière viticole notamment. "Ce choc thermique en quelques jours, c’est ce qu’on redoute le plus. C’est catastrophique. La météo avait favorisé la reprise précoce de la végétation et des cultures. La vague de froid est venue couper cet élan. C’est notamment le cas pour les viticulteurs du nord du département. Pour eux, les dégâts sont visibles toute de suite même si certains ont essayé de combattre au mieux la chute des températures. Mais cela a un coût. Tous ne peuvent pas se le permettre."
« Une année encore atypique »
A un degré moindre, ce dernier estime que les arboriculteurs pourraient s’en sortir un peu mieux. "Pour eux aussi, ce n’est pas simple mais il existe des procédés comme les voiles ou l’aspersion de l’eau qui permettent de protéger les bourgeons et de limiter la casse. Là encore, il faudra patienter pour connaître l’étendue des pertes. Il y en aura mais elles devraient être moindres."
Wait and see, c’est aussi la philosophie actuelle des céréaliers en attendant les moissons estivales. "Le blé et l’orge étaient au stade du redressement. Ils pourraient être fragilisés par cet épisode mais on ne peut pas encore le mesurer. Encore une fois, nous faisons face à une année atypique", estime Jean-Marc Renaudeau qui a hâte de passer les Saints de glace des 11, 12 et 13 mai.
« On doit s’interroger »
Et après ? "Contrairement à d’autres régions, nous avons la chance de bénéficier d’un climat océanique mais il est évident que nous devons réfléchir à d’autres modes de culture, à des variétés plus résistantes. C’est très compliqué quand vous avez le choix de cultures pérennes mais quand elles sont annuelles, il faut vraiment s’interroger. Ce que nous vivons doit nous questionner."
Et la sécheresse s’invite déjà
Comme si le yo-yo du mercure ne suffisait pas, le département est déjà touché par la sécheresse. La préfecture des Deux-Sèvres vient, ainsi, de prendre un premier arrêté de restriction d’irrigation en 2021. En vigueur depuis le lundi 12 avril, 8 heures, celui-ci concerne le bassin-versant du Marais poitevin, sous-bassin Mignon-Courance. Sont concernés les prélèvements à des fins agricoles à partir de forages, de cours d’eau, de plans d’eau en communication ou alimentés par une nappe souterraine ou un cours d’eau, plans d’eau établis sur un cours d’eau. "D’autres mesures pourront être prises sur les bassins deux-sévriens au vu de l’évolution de la situation", précisent les services de l’État.