Le chercheur deux-sévrien Vincent Bretagnolle publie « Réconcilier nature et agriculture ». Un constat de l’urgence, des clés pour éviter la catastrophe.
Chercheur au CNRS à Chizé, l’écologue Vincent Bretagnolle s’est fait connaître du grand public en 2018 lorsqu’il a rendu publique la réalité scientifique de l’effondrement de la biodiversité. Dans Réconcilier nature et agriculture, il évoque les vingt-cinq dernières années qu’il a passées à travailler sur les relations entre l’agriculture et l’environnement dans la « zone-atelier » de Chizé… Passionnant.
En quoi consiste le programme que vous évoquez dans ce livre ?
Vincent Bretagnolle : « Il s’agit de réconcilier l’homme avec la nature de façon à rendre nos territoires, nos sociétés, nos modes de vie plus résilients par rapport aux défis environnementaux. Nous devons remettre du lien entre nous, les humains, les agriculteurs, les citoyens, et la nature. »
Au rang de ces défis environnementaux, vous affirmez que la préservation de la biodiversité doit être une priorité avant même le changement climatique. Son effondrement est-il si spectaculaire que ça ?
« Pour avoir une idée du déclin de la biodiversité, il suffit de se souvenir des parebrises constellés d’insectes après une route de campagne ou des papillons de nuit qui virevoltaient autour des lampes les soirs d’été, des lucioles dans les champs, des hannetons dans les prairies… Tout cela n’existe plus. »
« En trente ans, on a perdu 75 % des insectes et 40 % des oiseaux » Ce déclin est donc d’une ampleur phénoménale…
« Dans les zones agricoles, et la plaine de Chizé sur laquelle nous avons trente années de données ne fait pas exception, nous avons perdu 75 % des insectes et 40 % des oiseaux. Depuis qu’on effectue nos relevés, on perd chaque année 2 % des populations d’oiseaux. Et ça, ça ne peut pas continuer. »
Que se passera-t-il si ça continue ?
« La biodiversité et la nature sont à l’origine même de la production agricole. Dégrader nos écosystèmes à ce point-là va donc finir par poser des problèmes irréversibles aux sociétés humaines. On voit déjà apparaître, en France, des difficultés de production agricole. La crise du Covid-19 nous a montré que nos systèmes actuels ne sont pas du tout résilients : n’oublions pas que nous sommes passés tout près de la pénurie alimentaire ! »
Vous plaidez pour la « réconciliation ». Qu’entendez-vous par là ?
« Ce n’est pas seulement faire ami-ami avec les oiseaux. Il s’agit en réalité de comprendre que nos sociétés, notre alimentation, notre santé dépendent intimement de la santé des écosystèmes et qu’il nous faut non seulement arrêter immédiatement de les dégrader mais les restaurer au plus vite. »
Pour ce qui est de la biodiversité, non seulement on est dans le déni mais ce n’est même pas perçu comme un problème majeur.
Vincent Bretagnolle, chercheur au CNRS à Chizé
Est-ce possible dans le contexte économique dans lequel nous vivons ?
« La nature est très résiliente : tant qu’une espèce n’a pas disparu, il reste un espoir. On a des centaines d’exemples de restauration de milieux naturels où la nature a retrouvé son fonctionnement normal. Mais cela dépend de nous. Et là, je conçois qu’on puisse ne pas être très optimiste… »
Pourquoi ?
« Parce qu’on est dans le déni ! Sur le changement climatique, c’est évident. Mais pour ce qui est de la biodiversité, non seulement on est dans le déni mais ce n’est même pas perçu comme un problème majeur. »
Comment changer les choses ?
« Sur la zone-atelier de Chizé, nous montrons comment un territoire peut se transformer pour être plus résilient : on travaille beaucoup en ce moment pour voir comment on peut aller vers une alimentation biologique, en circuits courts, en passant par les cantines scolaires, les marchés, des jardins partagés… Nous suivons des dizaines de micro-initiatives collectives, à l’échelle des villages… »
Et pour cela, vous travaillez avec les agriculteurs…
« Oui. Et je n’ai pas trop de problème pour trouver des agriculteurs avec lesquels on peut travailler et expérimenter des choses innovantes et audacieuses. Beaucoup sont conscients que le système actuel n’est pas viable. Le problème ne vient pas d’eux mais plutôt de la profession : c’est au niveau de la filière agro-industrielle dans son ensemble que ça bloque vraiment. Mettre la pression sur les agriculteurs en tant qu’individu n’est pas la bonne voie. C’est sur la profession qu’il faut mettre la pression. Et pour cela, il n’y a que le citoyen qui puisse faire bouger les lignes, par pression sociétale. »