Directrice de recherche au CNRS, Audrey Dussutour est l’une des spécialistes mondiales du blob – elle lui a donné son nom usuel – un être vivant si unique que Thomas Pesquet l’a même embarqué dans l’espace pour le soumettre à des expériences.
Il peut se découper en morceaux. S’endormir puis se régénérer. Composé d’une seule cellule, il peut doubler de taille en une journée, se déplacer et optimiser son accroissement pour aller se nourrir. Il compte 720 types sexuels. Le blob est un être vivant si particulier, si extraordinaire qu’il a même accompagné Thomas Pesquet dans la Station spatiale internationale pour une série d’expérimentations.
S’il n’est pas encore aussi célèbre que l’astronaute, le blob a acquis ces dernières années une vraie popularité. Au point qu’il a fait partie des cadeaux "tendance" de la fin d’année 2021.
On le surnommait “le blob” au labo. On a décidé d’utiliser ce petit nom et finalement c’est entré dans le dictionnaire.
Audrey Dussutour, directrice de recherche au Centre de recherches sur la cognition animale CNRS
Mais peu de personnes le connaissent autant qu’Audrey Dussutour. L’Aveyronnaise est l’une des spécialistes mondiales… et c’est même à elle qu’on doit le nom usuel de cet incroyable organisme.
Elle travaille sur "le “ physarum polycephalum ”. C’est lui que j’ai surnommé “ le blob ”. Il n’avait pas de nom vernaculaire en français. Quand j’ai écrit mon livre en 2017 on s’est rendu compte que “Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le physarum polycephalum sans jamais oser le demander ”, ce n’était pas très vendeur ! Alors, comme on le surnommait “le blob” au labo, on a décidé d’utiliser ce petit nom et finalement c’est entré dans le dictionnaire."
Inutile de dire que le blob a changé la vie d’Audrey Dussutour. Il occupe désormais 90 % de son travail… et peut-être aussi de sa vie. Biologiste, directrice de recherche au Centre de recherches sur la cognition animale (CRCA – CNRS à Université Toulouse III – Paul Sabatier), c’est une spécialiste du comportement animal.
Mais la rencontre avec le blob ne se fait qu’à la fin de son post-doctorat, en Australie. "En 2008, je suis sur le départ. Mon chef, Steve Simpson, un grand nutritionniste, est en train d’écrire un ouvrage sur un modèle nutritionnel qu’il avait utilisé chez plein d’organismes comme les fourmis, les souris et même les humains – j’avais même été cobaye dans une de ses expériences – et il lui manquait un organisme unicellulaire pour valider son modèle théorique, de la cellule à l’homme."
La richesse comportementale du blob
Audrey Dussutour connaissait l’expérience du chercheur japonais Toshiyuki Nakagaki qui avait placé un physarum polycephalum dans un labyrinthe pour observer ses réactions. "On s’est renseigné et par chance, il y en avait en Australie. Et dans le labo même ! Une jeune chercheuse en avait récupéré par curiosité. On lui a demandé de nous en donner un bout. Steve m’a fait confiance, il m’a laissée avec cette chose et il m’a dit : “ t’as deux mois ! ” J’ai bossé à fond car je savais qu’il fallait que je rentre en France où je venais de réussir le concours du CNRS."
Les manipulations ont bien fonctionné et elle ramène le blob dans sa valise en cas d’expériences complémentaires pour la publication scientifique de Steve Simpson.
Elle n’en a pas eu besoin. "Mais en fait, cette première expérience m’avait beaucoup intriguée alors j’ai continué. Au début un peu en dilettante parce que j’avais été embauchée pour travailler sur les fourmis. Mais quand on commence à travailler sur le blob, on a du mal à s’arrêter."
Elle n’est plus la seule à s’intéresser à cet organisme "troublant" reconnaît-elle. "Il nous montre qu’il a une richesse comportementale proche de celle des animaux finalement."
Le blob vieillit comme toute cellule, il peut rentrer en dormance quand les conditions ne sont pas top top pour lui. Et quand il se réveille, il régénére, il arrive à perdre les signes du vieillissement cellulaire.
Audrey Dussutour, spécialiste du blob
"Mes étudiants et moi, nous sommes des éthologues. Nous sommes dans la recherche fondamentale. On fait de l’étude de comportement pour comprendre le blob, ses capacités de communication, d’apprentissage… et pour offrir un regard nouveau sur les cellules."
Elle travaille aussi sur le vieillissement car si "le blob vieillit comme toute cellule, il peut rentrer en dormance quand les conditions ne sont pas top top pour lui. Et quand il se réveille, il régénére, il arrive à perdre les signes du vieillissement cellulaire."
Percer les secrets du blob pourrait permettre aussi d’optimiser les réseaux car "il a à l’intérieur de son corps tout un réseau veineux qui lui permet de distribuer les nutriments, les gaz dans la cellule… Il est très malléable, très résilient." Des entreprises sont donc intéressées dans le but d’améliorer les réseaux internet, informatiques et électriques. Et ainsi consommer moins et polluer moins.
Observer le blob pour mieux comprendre le cancer
En Allemagne, c’est autour de "la recherche contre le cancer" qu’on met l’accent. "La mise en place du système veineux" du blob à partir d’une certaine taille "répond aux mêmes lois physiques que la mise en place de la vascularisation des tumeurs, qui au début, court-circuitent la circulation sanguine". On pourrait alors mieux comprendre et combattre les prémices de la maladie.
On a également découvert "que le blob est essentiel dans l’écosystème, il mange des organismes et rejette des minéraux dans les sols. il peut aussi cumuler beaucoup de métaux lourds et cela donne des espoirs en terme de dépollution."
Enfin, Audrey Dussutour s’est rendue compte que le blob était un objet de médiation scientifique incroyable. Facile à manipuler, évolutif et mystérieux à la fois… "Tout ça c’est positif. Cela pousse les gens à faire des expériences, des enfants se passionnent pour les sciences." Notamment grâce à l’opération "Élève ton blob" à laquelle près de 4.500 classes ont participé en 2021 comme au Grand-Pressigny, à Saint-Georges-lès-Baillargeaux, à Montbazon, à La Chatre, à Châteauroux…
"A l’heure actuelle, les gens qui m’écrivent le plus sont des enseignants, des enfants et des retraités. Et les enfants, ils sont à fond ! Avant, lors de mes conférences il n’y avait quasiment que des adultes. Dernièrement, il n’y avait quasiment que des enfants. Et ils m’ont posé des milliers de questions d’un excellent niveau. C’était génial."
J’ai donné entre 50 et 60 visio de 45 minutes dans les écoles primaires Audrey Dussutour, au sujet du programme "Elève ton blob" suivi dans 4.500 classes
Audrey Dussutour s’est énormément investie pour être à la hauteur de l’engouement. "J’avais énormément de travail de veille à faire, environ cinq heures par jour, notamment pour répondre aux questions des enseignants. Et on a beaucoup appris." Dans les écoles, beaucoup d’enseignants se sont pris au jeu. "J’ai donné entre 50 et 60 visio de 45 minutes dans les écoles primaires."
Ce succès a permis le lancement d’un deuxième projet : "Derrière le blob la recherche". Il s’ouvre à tout le monde, et notamment aux Ehpad et aux prisons. Un appel a été lancé pour recruter 10.000 personnes pour une expérience en commun. "On a reçu plus de 48.000 pré-inscriptions" sourit Audrey Dussutour. Pour au final 26.000 questionnaires d’engagement remplis (qu’elle a tous lus). Finalement le CNRS en a retenu 15.000 devant cet engouement incroyable.
"Le but, c’est de tester les effets du réchauffement climatique sur le blob et sensibiliser le public au réchauffement climatique. De montrer comment cela peut affecter un être vivant, directement chez eux."
En arrière-fond, il y a aussi la volonté de d’expliquer la démarche scientifique. "On l’a vu pendant la crise sanitaire, on a entendu de tout. Il faut expliquer aux gens que la recherche, cela prend du temps, que c’est beaucoup de répétition, qu’il faut des groupes contrôle…"
Et Audrey Dussutour, et son fidèle blob, vont les accompagner pendant un an.
Le blob, un génie sans cerveau Ni animal, ni plante, ni champignon, le blob est présent sur terre depuis près d’un milliard d’années. C’est l’un des êtres vivants les plus primitifs et l’un des plus simple avec son unique cellule. Cet organisme passionne les chercheurs, Thomas Pesquet en a même glissé dans ses bagages pour l’ISS afin d’étudier son comportement.