Des dauphins dans le port de Cagliari en Italie. Des sangliers en plein Barcelone. Un puma à Santiago du Chili. Des canards devant la Comédie Française à Paris… Depuis le début du confinement, lié à la pandémie de Covid-19, les exemples d’animaux aperçus en ville se multiplient. Ici et là, on s’étonne même de (ré)entendre le gazouillis des oiseaux. Un retour pur et dur de la nature dans nos cités ? La réalité est un peu plus complexe…
Nicolas Gilsoul est architecte, paysagiste et docteur en sciences à l’Institut des sciences et industries du vivant et de l’environnement à Paris. Auteur de Bêtes de villes, petit traité d’histoires naturelles au cœur des cités du monde (Fayard, 2019), il nuance : « Il n’y a pas à proprement parler de retour de la nature en ville, mais une incursion de la faune. Il est évidemment très agréable d’entendre les oiseaux. Voir des rorquals dans les Calanques m’a scié. Mais observer par exemple des sangliers n’a rien d’étonnant. Ils étaient déjà là. Avec le confinement, nous sommes plus silencieux et discrets. Et les animaux, eux, ont besoin de manger, ils vont se nourrir plus loin. »
« Je le répète, la plupart de ces animaux étaient là depuis longtemps »
Le confinement a surtout rendu la faune en ville visible et audible. Pour Nicolas Gilsoul, voir un cerf, une biche, un blaireau dans nos rues reste normal. « Que des pumas se retrouvent en plein quartier au Chili, ça l’est aussi, car beaucoup vivent aux alentours. Nous Français, on va s’en étonner. Là-bas, beaucoup moins. » L’absence humaine pousse les espèces à oser s’aventurer plus loin. Nicolas Gilsoul tient à insister : « Je le répète, la plupart de ces animaux étaient là depuis longtemps. »
Ce qui est finalement le plus étonnant est… de s’étonner ! Jusqu’alors, les espèces animales étaient aux portes des villes. Ou cachées. Mais « l’homme a mis le bazar ». En étendant son territoire urbain, il a largement débordé sur celui des animaux. Intervient également un autre point : couplé à un manque de connaissances, l’homme s’est déconnecté du vivant.
« Il l’est effectivement, abonde Nicolas Gilsoul. On est très urbains, on a beaucoup perdu notre rapport à la nature, des choses simples, par exemple comprendre pourquoi tel animal ne sort que la nuit, ou se nourrit de telle manière. Nos grands-parents effectuaient beaucoup de sorties en forêt, cela manque chez nous et devrait être au cœur du programme de l’Éducation nationale. »
Pour l’auteur, méconnaissances et préjugés sont encore trop présents. « Prenons l’exemple de la chauve-souris : les nôtres, en France, ne transportent pas le Covid ! Leur rôle écologique est important, elles régulent la population d’insectes et servent à la pollinisation. »
« Nous allons rentrer dans une grande ’’nurserie’’, car il y aura eu de nombreuses naissances »
Reste désormais à penser à l’après. Experts, chercheurs et scientifiques sont d’accord là-dessus : il faudra faire attention en sortant du confinement. « Nous allons rentrer dans une grande ’’nurserie’’, car il y aura eu de nombreuses naissances. En ce moment, c’est une période de reproduction. En France, les oiseaux peuvent nicher tranquilles, les renards ne sont plus chassés, les hérissons sont moins écrasés par les voitures. Les familles animales sont en hausse. »
Certaines espèces auront donc fait leurs premiers pas sur un boulevard vide ou dans la rue. « Et nous, on va reprendre notre mobilité à 300 % », craint Nicolas Gilsoul. Risque supplémentaire : cette faune sauvage adaptée aux villes reste toujours fragile. « Mais le Covid et le confinement nous donnent l’opportunité de changer. La présence de la nature en ville est une bouffée de fraîcheur pour tout le monde. Il y a un pacte à faire avec elle, un cap à prendre, un équilibre à trouver. Il faut que l’on ouvre les yeux pour concevoir la ville de demain. »