« La peste noire, au pas d’un cheval, a mis trente ans à contaminer le monde. Le coronavirus n’a eu besoin que de quelques semaines pour envahir la planète. » Constatation faite par Laurent Arthur, naturaliste au Muséum de Bourges et spécialiste européen des chauves-souris. Les chiroptères (c’est le nom de leur famille) sont un réservoir à virus et notamment à coronavirus. Ces mammifères volants vivent longtemps – jusqu’à 41 ans. Après l’étude d’une grotte dans le Yunnan abritant une espèces particulière, des rhinolophes, menée pendant cinq ans, des scientifiques chinois avaient prévenu dès 2017, de la possible émergence d’une nouvelle maladie dérivée du premier SRAS (pour syndrome respiratoire aigu sévère) vu son évolution.
Pour François Moutou, vétérinaire et épidémiologiste, « ce qui change par rapport à la première épidémie de SRAS de 2002-2003, c’est le nombre de voyages. Il y a des vols réguliers entre Paris et Wuhan maintenant… » Le SRAS-CoV-1 est passé par la civette, « petit mammifère cuisiné en Asie et qu’on tue devant vous !, explique ce bon connaisseur de la Chine. La contamination est sans doute venue d’un cuisinier boucher, car le liquide sanguin est très riche. » Pour le nouveau SRAS (donc CoV-2), donnant la maladie baptisée Covid-19 (« Covi » pour coronavirus, « d » pour disease - maladie en anglais – et 19, car apparu en 2019), « c’est possible que le pangolin, autre petit mammifère très braconné, soit le récepteur du virus. Mais cela peut être un autre intermédiaire à préciser. Quand le marché de Wuhan, dans la province Hubei en Chine, a fermé, aucun prélèvement n’a été fait sur les animaux présents. »
En revanche, le spécialiste réfute l’idée d’un virus échappé de laboratoire de Wuhan : « La séquence ARN du virus est inconnue et fait penser à un nouveau virus, indique François Moutou. Si le laboratoire est à Wuhan, c’est précisément parce qu’il y a un marché d’animaux sauvages. Je l’ai visité lors de son installation ; il est proche des civettes pour prélever, dans la continuité des recherches sur le premier SRAS. C’est pragmatique. » Quand l’alerte d’une pneumonie atypique à Wuhan tombe sur la liste de diffusion d’informations sanitaires, le 31 décembre dernier, François Moutou la remarque. « J’avais le souvenir du confinement de Pékin en 2002-2003. Le SRAS avait causé 8.000 cas, dont 800 mortels. On avait l’idée que ça pouvait recommencer. »
Mais dans quelle ampleur ? « On n’a pas pris conscience de cette nouvelle maladie. On a cru à une grosse grippe, reconnaît Jeanne Brugère-Picoux, professeur honoraire à l’École vétérinaire de Maisons-Alfort et épidémiologiste. Les Chinois n’ont pas déclaré tous les cas au départ. » La vétérinaire experte, pionnière dans la crise de la vache folle, fut pertinente lors de la grippe aviaire où elle avait annoncé que la barrière d’espèce entre oiseau et homme ne serait pas franchie. Avis avéré. « Pour le Covid-19, on pense que l’origine peut être la chauve-souris, le pangolin ou les chiens errants, tous des mammifères. C’est possible, il n’y a plus de barrière d’espèces avec le coronavirus. L’Académie de médecine dont je fais partie recommande le port du masque, car on ne sait pas où est le risque. Face aux coronavirus, on vaccine mal, ils mutent. Cette fois-ci, on voit apparaître des complications immunitaires. »
Se diffusant bien dans les lieux clos comme un bateau de croisière, ce nouveau coronavirus profite à l’évidence de la mondialisation. Renoncer aux longs-courriers, vers et en provenance de la Chine, pourrait en être la clé. « Je croise les doigts pour qu’on réfléchisse collectivement à l’après. Mais il est horriblement difficile d’être raisonnable ! », lance le naturaliste Laurent Arthur.« C’est vrai aussi que les Chinois mélangent des espèces sauvages dans des cages. Les virus peuvent parfaitement passer de l’une à l’autre », souligne-t-il. Comme lui, les écologues préconisent le respect impératif et urgent de la biodiversité et des habitats naturels.