Jacques Mathé est professeur associé en sciences économiques à l’université de Poitiers. Il travaille sur l’économie de proximité au sein du Centre de recherche sur l’intégration économique et financière. Il estime que « L’actualité du Covid-19 et son impact sur l’économie de tous les secteurs repose la question de la localisation et de la coordination de l’économie de production ».
La crise du coronavirus a mis en lumière les circuits courts. Peuvent-ils être une alternative durable dans une économie globalisée ?
« Les circuits courts ne seront jamais une alternative en termes de modèle alimentaire dominant mais ils en deviennent un complément. Ils représentent encore aujourd’hui moins de 10 % de contenu de nos assiettes et je vois mal qu’ils puissent remplacer les 90 % restants. Non pas que la demande n’existe pas, bien au contraire mais l’offre des producteurs ne le permettra pas. Les bras nous manquent dans ce modèle. En revanche les circuits courts apportent d’autres valeurs qu’alimentaires : reconnaissances, plaisirs, identification territoriale… »
Comment peut-on définir l’économie de proximité ?
« L’économie de proximité est une économie de la relation, de la coordination, caractérisée par la capacité des acteurs à s’organiser pour créer de la valeur économique l’échelle d’un territoire. Ces valeurs sont d’abord marchandes, les richesses apportées par les entreprises, mais aussi l’efficience des services publics et enfin toute la vie associative et culturelle qui y est associée. La crise du Covid pointe l’importance des activités culturelles en France et plus largement du secteur du tourisme. Dans bien des territoires, la richesse principale est apportée par ces deux activités. On a mesuré que cette économie représente la moitié du PIB français, ce n’est pas rien ! Par contre, la répartition de cette dynamique territoriale n’est pas homogène. Le modèle du capitalisme vendéen illustre ce que représente l’économie de proximité, de même que la dynamique bretonne depuis 40 ans. Ces territoires qui n’avaient pas d’atouts particuliers, éloignés des grandes zones d’influences, ont su se développer dans le champ industriel et agroalimentaire mais aussi culturel et touristique (le Puy du Fou, les Vieilles Charrues…) »
Quels sont les indicateurs de performance de l’économie de proximité ?
« Nous mesurons la valeur ajoutée territoriale apportée par des activités économiques spécifiques sur un territoire. Elle peut afficher un coefficient multiplicateur de 2,5 à 3 ! En clair, 100 euros de valeur ajoutée créée dans une filière rapportent 250 euros au territoire. Dans certains territoires, comme au Pays Basque, le coefficient est de 3. Il représente l’intensité des services, sous-traitants, prestations locales qui sont nécessaires pour réaliser les 100 euros de valeur ajoutée. Bien évidemment si le territoire est mal doté en artisanat, services, il faut alors importer tous ces ingrédients d’autres territoires voir d’autres pays, ce sont autant de richesses qui ne seront pas créées localement. Ajoutons que la majorité de cette richesse va rémunérer le travail. »
Comment réussir le développement d’un territoire en 2020 ?
« L’économie de proximité ne se décrète pas, elle se construit ! Tout d’abord le territoire doit posséder des savoir-faire, des atouts (des produits, des techniques, une localisation…) qui vont lui permettre de se différencier. Il doit ensuite être capable de mettre en œuvre ces savoir-faire en mobilisant des compétences adaptées. De nombreux territoires possèdent des savoir-faire qui sont oubliés ou peu mis en œuvre faute de compétences nécessaires. Ces deux facteurs vont alimenter des trajectoires d’entreprise, autour d’histoires, d’expériences, d’identité qui vont donner du corps au produit fini. C’est cela aussi que les clients attendent dans un produit territorialisé. À trop vouloir uniformiser leurs modèles productifs, les entreprises en ont perdu leur âme. C’est autour des identités retrouvées que se construisent aujourd’hui les plus belles réussites entrepreneuriales. Enfin, dernière condition, la dynamique territoriale va se mettre en œuvre si les acteurs (élus, entrepreneurs, pouvoirs publics…) prennent des risques, innovent, sont créatifs. »