À quelques jours près, ce sont les doigts de pieds en éventail sur une chaise longue ou une binette à la main qu’il aurait vu défiler ses journées de confiné. Les cartons étaient prêts, « on avait même commencé à enlever le papier peint », rage encore Laurent, en pensant à cette résidence secondaire en Sologne, fraîchement acquise, qu’il n’a jamais eu le temps de rejoindre avec sa famille. Le confinement général a été proclamé et le quadragénaire s’est retrouvé coincé entre les quatre murs de son appartement du 13e arrondissement de Paris. Comme Laurent, de plus en plus de Français rêvent de grand air, d’espace et d’une maison avec jardin.
Un phénomène qui aurait été amplifié par la crise du Coronavirus. Selon une enquête d’Egide Informatique (Opinion Way), 70 % des personnes ayant un projet immobilier souhaiteraient désormais investir hors des grandes métropoles ; 32 %, en zone rurale.
Ce « tout sauf Paris », la bien-nommée start-up Paris je te quitte en a fait son fond de commerce dès 2017. Aujourd’hui, ses activités se sont envolées. « Notre site a connu une hausse de trafic de 56 % et on a reçu trois fois plus de CV », témoigne Kelly Simon, cofondatrice de cette société qui se charge, non seulement d’accompagner les projets immobiliers, mais aussi de la recherche d’emploi des candidats au départ.
La région Centre- Val de Loire dans le top 3 du site Leboncoin Leboncoin a analysé l’activité de son site Internet pendant le confinement et il ressort que « les Parisiens ont davantage cherché dans les petites communes ou les petites agglomérations, avec une préférence pour les régions Bourgogne, Centre-Val de Loire et Normandie ».
Cet engouement pour la région, ce professionnel vendômois, à 42 km de train de Paris, le confirme volontiers. « Depuis une semaine, on a beaucoup d’appels, des demandes de visites », constate Thierry Morchoine, de l’agence 4 % Immobilier, qui cite l’exemple très concret d’« un couple de parisiens avec trois enfants qui cherche une maison à quinze minutes maximum de la gare TGV ». Un de ses collaborateurs installé en Eure-et-Loir confirme la tendance : « J’ai encore plus de demandes de clients de la région parisienne, dont le PDG d’une société qui, avec le développement du télétravail, souhaite avoir sa résidence principale en région Centre. »
En Sologne, Céline Luneau a vu émerger une nouvelle catégorie d’acheteurs : « De plus en plus de jeunes, la vingtaine ou trentaine, locataires à Paris, mais qui veulent avoir une maison en province. Ils savent que le vendredi soir, en deux heures, ils peuvent être chez eux à la campagne. On n’est plus du tout sur le profil du chasseur », analyse la négociatrice immobilière à Salbris. Si la tendance n’est pas nouvelle, elle pourrait s’intensifier.
Même ceux qui vivent en ville ne jurent plus que par les jardins et balcons, devenus les incontournables de ce printemps 2020. « La semaine dernière, on a réalisé une vente auprès d’un couple de retraités qui avait déménagé en appartement et qui a finalement signé pour retourner en maison avec jardin », témoigne Camille Davonneau, directrice des agences Square Habitat de Tours, Amboise et Montlouis. Depuis la réouverture, le 11 mai, « c’est quasi une visite/une vente. On a fait six ventes en cinq jours sur Tours, quatre sur Amboise, c’est énorme pour une reprise », glisse la professionnelle, malgré tout prudente sur la suite, comme beaucoup de ses confrères.
Au-delà des rêves, la réalité économique … « Tout dépendra de l’économie globale. Les personnes intéressées par un déménagement auront-elles le pouvoir d’achat suffisant ? Les chefs d’entreprises, professions libérales et artisans, sont plutôt en phase d’attente. Les trois mois qui viennent seront décisifs », attend de voir Isabelle Decron-Lafaye, présidente de la chambre des notaires du Poitou.
Jacky Chapelot, à Châteauroux, redoute, lui, une possible évolution « du comportement des établissements financiers qui pourraient avoir tendance à resserrer les critères de prêts. Va-t-on assister au relèvement du plafond d’apport personnel ? »
La réalité économique pourrait, dans ce cas, laisser de nombreux rêves de départs dans les cartons…